Voir
commence dans le monde extérieur. Percevoir les relations
entre les éléments qui se trouvent dans notre
champ de vision. Voir unifie. je suis ce que je vois.
Voir, c'est aussi reconnaître le moment où une
perception résonne dans le corps.
Quand la distance est juste, l'espace qui me sépare
de la forme est habité. Il n'y a plus de séparation.
Cette distance est très petite pour les objets, un
mètre a peine, et cinq à quinze mètres
avec les arbres. Cela cause une sensation tactile, vibrante.
Dans une "vie silencieuse", il se dégage
des objets une mystérieuse présence qui nous
plonge dans une contemplation où ils perdent leur fonction
habituelle - la cruche n'est pas ici pour contenir du lait,
le fruit pour être mangé. À une faible
distance, émane de tout objet surtout vieilli par le
temps, le travail, l'usure, une présence qui peut être
reconnue comme intérieure - tout en permettant par
son poids, sa matière, sa couleur, une possibilité
très sensuelle, très matérielle, de l'éprouver.
Par cette émanation, l'espace entre les objets devient
très réel, tactile, parfois sa présence
parait plus forte que celle de la forme : comme par exemple
chez Morandi.
Dans ces "Vies silencieuses", quand l'espace prend
cette importance, le spectateur entre dans cette intimité,
et alors tous les rapports changent, s'inversent . un petit
monde devient grand, parfois des objets deviennent des vides
dans lesquels des profondeurs s'ouvrent, extérieur
et intérieur, figure et abstraction ne s'opposent plus.
Texte du catalogue Le regard et l'objet, 1993
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